Saturday, May 30, 2009

La Chute

« Il vaut mieux périr que haïr et craindre ; il vaut mieux périr deux fois que se faire haïr et redouter ; telle devra être un jour la suprême maxime de toute société organisée politiquement. » Nietzsche



Le fascisme nous hante. Il est à nos portes. Le populisme envahit nos écrans. La république vacille. Elle risque de basculer sans un sursaut citoyen le 7 juin 2009. Les Libanais se laisseront-ils vaincre par la désillusion ? La haine l’emportera-t-elle sur la raison ? La mission sempiternelle du Liban est en ballotage. Dans quelques jours les urnes trancheront.


Oui le quatorze Mars n’était pas à la hauteur de la tâche qui lui incombait. Certes, gouverner pour lui était impossible sous la menace de plus en plus explicite du Hezbollah qui, usant tantôt du tiers du blocage pour bloquer les institutions, tantôt de la fronde, a fini par entrainer le pays dans une guerre civile pour imposer son diktat. Certes la majorité a vu ses ténors succomber l’un après l’autre, victimes d’ un criminel que tout le monde suspecte mais que personne n’ose dénoncer, de peur de mettre en péril la soi-disant paix civile…Mais, c’est justement pourquoi, et vu ces conditions, qu’on attendait de cette alliance de dépasser ses clivages et ses égoïsmes, de faire preuve d’audace et de solidarité de retrouver cet esprit du printemps 2005 quand quelques héros ont bravé la peur de l’occupant et enclencher le soulèvement le plus noble de l’ histoire du Liban. Il n’est que de voir comment ont été formées les listes électorales pour s’en rendre à l’évidence. La logique des partis l’a emporté sur la nécessaire unité. Les calculs mesquins ont eu raison de la diversité politique et culturelle qui au-delà des personnes qui la composent reflétait celle d’une société civile de la quelle le quatorze mars s’est éloigné au fil des jours. Œdipe est laissé à son sort, il a agi trop tôt et de plus s’est trompé de père. Le quatorze mars, bon gré mal gré s’est trahi lui-même.


Non ; le huit mars n’est pas la solution. Bien au contraire, c’est le problème. Au-delà de ses choix politiques qui défient tous les jours l’idée même de l’Etat souverain, cette dite opposition véhicule un modèle culturel qui est aux antipodes du modèle libanais, jadis synonyme de liberté et de diversité. Elle s’est inscrite dans un schéma négateur du principe de la paix, voire même de la vie. La guerre est placée au rang de sacrement. Le dialogue n’est plus un mode de vie mais une forme de trêve, en attente de la bataille ultime, salvatrice. Il s’ agit là d’ une vision du monde eschatologique et totalisante que sous-tend un manichéisme simpliste qui divise le monde en amis et ennemis, fidèles et traitres, croyants et impies, en Bien et en Mal…Bref une idéologie qui tranche, qui sépare, à l’extrême opposé du mythe fondateur du Liban, rassembleur, pont entre les cultures et les religions. Résister pour nous, héritiers d’un humanisme que nourrissent à la fois le christianisme et l’islam des lumières, c’est s’accrocher à cette idée que nous nous faisons de l’homme, des nations et de leur destin.


Quand nos frères du Hezbollah - nous continuons d’appeler nos concitoyens « frères » malgré l’abîme qui nous sépare- ne serait-ce que pour rester fidèles à nous mêmes et à l’idée que nous nous faisons de notre partie et de sa mission historique- nous parlent du haut d’idéologies que nous respectons mais qui ne sont pas les nôtres, il est temps d’en conclure qu’il s’agit là d’un différent de civilisation d’autant plus impossible à surmonter au vu des moyens mis en œuvre et les ressources investies. Faut il rappeler que le parti de Dieu ne véhicule pas simplement une doctrine exercée sous le régime de la libre conscience, mais c’est aussi un réseau d’écoles, une cursus éducatif, des régimes d’aides sociaux, des fonds de développement, et pour en finir 40,000 soldats rassemblées sous les bannières jaunes, sans oublier les 200 000 roquettes, signe indélébile de la défiance à l’ennemi…Bref un état dans l’état, un autre monde dans un monde.


Revenons-en à la politique. L’opposition semble ignorer que la politique ne se fait pas à coups de boutoirs, qu’elle se conduit par la confrontation des idées, par le sang de l’esprit. Par l’intelligence. Le Hezbollah et son allié ne sont pas convaincants, ils sont craints. Quand pour se faire entendre on n’hésite pas, le soir du 7 mai 2008, à mettre la ville à feu et à sang, quand la violence l’emporte sur la raison, cela en dit long non seulement sur les vraies visées de ce parti, voire même sur ses valeurs. Quand la violence prend le dessus, quand les slogans comme « les armes protègent les armes » prévalent, c’est qu’on bascule dans autre chose. Et cet autre chose s’appelle : fascisme. Rappelons nous, Il y a quelques décennies, l’Europe plongeait dans la nuit la plus noire. Le nazisme triomphait, un homme, Goering, successeur désigné du Führer, menaçant, arrogant, agitait son doigt et déclarait : « quand on me parle d’intelligence, je sors mon révolver ». Cette une philosophie similaire qui aujourd’hui nous envahit.


C’est la culture de la violence qui accuse, qui insulte, qui diabolise. Alors s’étalent sous nos yeux des stratégies subversives qui s’emploient à terroriser les uns et à instrumentaliser les peurs profondes des autres, des peurs qu’entretient un système de pensée fondé sur la logique des minorités ou celle des déshérités avec son cortège d’angoisses et de frustrations. « Je hais donc j’existe », telle semble être la nouvelle maxime. Il est malheureux que le CPL se soit laissé prendre dans ce tourbillon. On avait cru que le Libération du territoire achevée, était venu le temps de la libération de l’homme, qui n’est pas possible sans un affranchissement de ses propres peurs et turpitudes. Rien de cela, les plaies doivent rester saignantes, elles sont devenues denrées publicitaires. Abjecte avilissement de la condition humaine. Pourtant, on avait cru la page de la guerre tournée, que le travail de construction d’une mémoire de paix était possible. Mais non, le dossier des tueries d’Ehden est étalé sur les écrans.. On va à la recherche des fosses communes pour ne retrouver …que le Moi encore empêtre dans ses haines …le Moi haïssable et haïssant.....


Des souvenirs poignants violent nos mémoires, mais plus poignant encore c’est le spectacle d’une guerre qui nous rattrape à grands pas. C’est que pour dissiper ses peurs on cède à la facilité de la haine. On cherche le bouc émissaire. On verse dans la logique de la victime. Le sauveur est acclamé. Les couleurs nationales s’évanouissent. Les fidèles sont drapés d’une couleur monotone et uniforme, portant une effigie, clamant un nom, crachant sur un ennemi. On verse dans le populisme. Les vrais enjeux sont court-circuités. L’évidence est refusée. C’est la culture du slogan. Un cliché, un seul résume désormais tout le drame du Liban : La corruption. Un ennemi fait oublier tous les autres : le sunnite et si cela ne suffisait pas c’est le frère chrétien qui est désigné. Certains appellent çà l’idiotisation des masses, mais ce qui est sûr, c’est que les es liens sont brisés, c’est l’état de guerre, panneaux publicitaires et slogans ont remplacé armes et cannons. Il est fort dommage que le pardon prodigué par le CPL à la Syrie et aux quatre officiers n’ait pas commencé au sein de la petite famille chrétienne puis libanaise. Et puis qu’il est question d’audit, autre slogan de campagne, Il y a là nécessité d’un audit historique, voire même moral, pour rétablir la justice et la dignité de l’homme, un peu d’amitié dans des cœurs chrétiens. Cela est bien plus urgent que l’ordre nécessaire dans nos finances publiques.


On avait cru l’espace d’un instant que le CPL par l’alliance nouée avec le parti de dieu, allait le libaniser. Telle n’était pas la promesse faite au patriarche maronite le lendemain de la signature du document d’entente ? Résultat c’est le CPL qui se hezbohallise. Jadis fleuron de la classe politique, par sa diversité, sa civilité et sa soif de justice, Il change d’obédience politique et se convertit à la cause de la résistance islamique. Il est étonnant que le programme électoral du CPL en 2009 ait passé sous silence les questions d’ordre politique. Des questions aussi cruciales que l’application de la 1701, de tracé des frontières avec la Syrie. Ce silence en dit long sur le changement de cap d’un parti qui a fait du changement un slogan. Pourtant c’étaient bien les idéaux d’hier, qui ne sont rien d’autres que les constantes nationales. Tout comme le document d’entente signé avec le Hezbollah, ce programme occulte l’essentiel, à savoir une position claire et nette sur quand et comment les armes du Hezbollah se soumettront à la souveraineté de l’Etat. C’est bien là la pierre d’achoppement. Toutes les propositions de réformes qui ne s’inscrivent pas dans un projet d’avenir deviennent entachées de doute et remplissent une fonction dangereuse, celle d’occulter l’essentiel et détourner l’attention du vrai, du seul enjeu, d’une république libanaise en danger.


Si tant est qu’il ait raison dans ses nouveaux choix, le CPL retrouvant le chemin de Damas, découvrant l’amitié du régime khomeyniste, a 20 ans de retard. Fort heureusement il se trompe. C’est sans doute dommage qu’il soit sorti des constantes historiques d’un peuple accroché à sa liberté, qu’il se soit laissé aller à la violence et l’insulte, qu’il se soit abandonné à ce romantisme de mauvais aloi qui préfère ses instincts à l’intelligence.


Et pour terminer quoi de plus que ces propos de Camus écrites un 14 mars…1945 : « Il faut guérir ces cœurs empoissonnés, et demain la plus difficile victoire que nous ayons à remporter sur l’ennemi, c’est en nous même qu’elle doit se livrer, avec cet effort supérieur qui transformera notre appétit de haine en désir de justice. Ne pas céder à la haine, ne rien concéder à la violence, ne pas admettre que nos passions deviennent aveugles » Voila, l’essence de la résistance culturelle.