Wednesday, March 26, 2008

Réinventer une opposition

De toutes les contrevérités qui alimentent le discours politique dominant, la plus sournoise est celle qui soutient que la crise qui secoue le Liban aujourd’hui est strictement interne et qu’il s’agit en somme d’une « opposition » qui revendique une participation face à une majorité qui lui dénie ce droit.

Cette logique subversive simule la réalité de l’enjeu. Un stratagème diabolique pour déstabiliser le Liban a été dessiné en coulisse. Le régime syrien n’a pas avalé son retrait du Liban en 2005 et cherche par tous les moyens à y revenir. Il n’arrive pas à se résigner à la création par les Nations Unies d’un Tribunal International pour juger de l’assassinat de Rafic Hariri et de tous les meurtres qui ont suivi. En effet, Cette nouvelle donne pèse chaque jour davantage sur les stratégies des différents acteurs engagés dans le moyen-orient.

L’étau se resserre. Le régime de Damas tente alors le tout pour le tout. Il veut empêcher l’inéluctable. Le film des évènements depuis 2004 n’est que trop parlant : Assassinats en règles des ténors de la majorité parlementaire ; démission collective des ministres shiites à un moment qui réveille tous les soupçons; campagne de dénigrement contre la personne du premier ministre, puis contre Bkerké, symbole pérenne de l’entité libanaise et enfin contre l’armée libanaise, dernier rempart de l’Etat souverain.

Une «opposition » est inventée. Elle réunit les contraires. Le parti qui a émergé de la lutte contre l’hégémonie syrienne, qui n’a pas hésité à afficher haut et clair sa laïcité, se trouve main dans la main avec une organisation paramilitaire, héritière de la révolution khomeyniste, fruit de la collaboration syro iranienne. Même si leurs idéaux fondamentalement divergent, leurs intérêts s’accordent. La rencontre se fait sous les auspices de l’«unité nationale ». Un document scelle la nouvelle entente. Les mots tourbillonnent, leur sens est travesti, un discours d’opposition est échafaudé. « Démocratie consensuelle », « marginalisation des chrétiens » sont autant de slogans de campagne pour venir à bout des acquis de la révolution des cèdres.

Toujours est-il, sciemment ou non, par dénégation ou par ignorance, c’est une partie libanaise qui prête main forte à l’occupant d’hier. Et c’est là où le bât blesse. C’est sur ce point en particulier que la question du vivre ensemble est fondamentalement posée, et que s’impose la faculté de discernement pour empêcher une perversion de l’Esprit qui sacrifie les priorités nationales à l’autel des intérêts sectaires voire personnels..

Qu’un parti politique ait des revendications, qu’il soit libre de nouer et de dénouer ses alliances, ceci est parfaitement légitime. Mais que cette dynamique serve à couvrir le crime, bloquer les institutions, paralyser le pays, et paver la voie au retour de l’occupant, c’est là non seulement un dévoiement de la démocratie, une atteinte flagrante à l’esprit d’une nation, mais plus grave encore un renversement de l’ordre moral.

Que le crime n’émeuve plus, qu’il soit manipulé aux petites fins politiques, que les doigts dirigés contre l’occupant hier se soient insidieusement retournés contre la victime d’aujourd’hui, que la sacro-sainte présomption d’innocence soit systématiquement brandie pour cacher la responsabilité ne serait-ce que politique de l’assassin ; voila qui place certaines parties devant une accusation de connivence que toute tentative de s’en défendre en puisant à la logique revendicative de l’opposition ne fait que renforcer.

Soyons clairs, le Hezbollah et son allié le CPL se trouvent aujourd’hui devant une responsabilité à la fois nationale et éthique.

Même si le Hezbollah, à en croire ses figures de proue, a renoncé à son rêve d’instaurer une république islamique, ils n’en reste pas moins que son action politique et l’arsenal militaire dont il dispose, ne sont pas de nature à dissiper les inquiétudes voire même les peurs d’un grand nombre de Libanais.

Cet arsenal rompt tous les équilibres. Il ouvre les portes aux ingérences étrangères, servant à la fois d’outil et d’alibi. Il constitue tous les jours un affront à l’autorité de l’État et à la paix sociale. Du simple fait qu’ils confèrent à leur porteur une stature qui n’aurait pas été la sienne s’il n’en disposait pas, les armes du Hezbollah sont bel et bien utilisées à l’interne. Comment sinon comprendre l’impunité et l’arrogance qui caractérise le comportement de ce parti?

La guerre de juillet 2006 en est la preuve éclatante. Il n’est pas lieu de disserter ici sur ses vrais mobiles ni sur ses vrais commanditaires, fût-il le fakih lui même. Quelque divine qu’ait été la dite victoire, cette guerre, décidée de façon unilatérale, n’a pas bénéficié et ne bénéfice toujours pas d’un consensus entre Libanais. Et l’on se demande au passage comment peut-on concilier la démocratie consensuelle, voire démocratie tout court, avec le précepte intouchable de wilayat el fakih.

N’en déplaise aux pourfendeurs de la démocratie consensuelle, les évènements des deux dernières années sortent au grand jour le désaccord profond sur des questions aussi fondamentales que celles qui touchent au rôle du Liban, à sa position vis-à-vis du conflit israélo-arabe, à sa relation avec la Syrie, ainsi qu’à l’ensemble de sa politique étrangère. Il est à se demander s’il n’est pas plus approprié de s’atteler à régler ces différends sur les grands choix de société plutôt que de faire bagarre sur la distribution des sièges au sein du prochain gouvernement.

Deux projets politiques sont à l’ordre du jour. Il en découle : Deux visions. Deux cultures. La fracture est d’autant plus grave que coexistent sur un même territoire deux armées, deux états. Ni la surenchère, ni le déni, ni l’usage de la force, n’offrent un cadre à une solution. Que l’on ne se trompe point, le 14 mars 2005 les Libanais de tous bords n’ont pas manifesté fortuitement. Ils réagissaient à ce qui s’était passé une semaine auparavant. Ils marquaient de ce fait un refus catégorique à une politique, à un certain modèle de société. Revenir sur ce refus est un acte de trahison. Une solution doit être trouvée, quelle qu’elle soit. C’est devenu une constante du système politique libanais que seul le dialogue est à même de venir à bout de la crise, mais le temps est venu d’engager un dialogue responsable, c’est à dire un dialogue qui, d’emblée, n’écarte aucune hypothèse, fût-ce le divorce, si aucun terrain d’entente n’est trouvé.

Le CPL est de ce fait devant une obligation morale. Parce qu’il a été au cœur du printemps de Beyrouth, parce qu’il a été avec d’autres, dépositaire de l’esprit d’un peuple, il se doit de rectifier ses choix et non plus de les justifier. C’est peu dire que son discours aujourd’hui est aux antipodes du programme électoral sur la base duquel il a conquis sa légitimité parlementaire. En politique, les mandats ne sont pas contraignants certes. Mais du point de vue de l’éthique, ils le sont. . Il est temps que son public réalise que ce n’est pas tant ce qui est mentionné dans le « document d’entente » qui compte, mais ce qui y est omis.

Faut-il rappeler que ce document ne mentionne ni comment ni selon quel calendrier précis le Hezbollah unifiera ses armes avec ceux de l’armée libanaise. Cette omission est surprenante de la part d’une partie signataire qui, hier encore reprochait aux accords de Taef de n’être pas assez explicite sur la question du retrait syrien. En ce temps, elle y voyait, et à juste titre, une atteinte à la souveraineté de l’État.

Le CPL s’est trompé d’amis, il s’est aussi trompé d’ennemis. Ce n’est pas le gouvernement actuel qui est responsable de la marginalisation des chrétiens. Mais ce sont plutôt les quinze ans d’occupation syrienne qui risquent aujourd’hui fort de se reproduire si on ne met pas un terme au leurre et à la manœuvre politique qui a dépassé les confins du cynisme.

Rien n’a été aussi néfaste pour les chrétiens que leurs divisions internes, que leurs guerres fratricides. Où en sont ils de cet avatar ? Quelles leçons en ont-ils tiré ? Loin de nous la pensée qu’il faille qu’ils se transforment en bloc homogène, mais au contraire il leur incombe de consacrer leur pluralisme autour d’un projet. Ce projet existe. Ses grandes lignes ont été esquissées dans l’exhortation apostolique puis détaillées dans les travaux du Synode des évêques pour le Liban. Ces documents ont recueilli l’approbation de toutes les parties. Ils mettent le Liban sur la voie du pluralisme, de la paix avec son voisinage arabe et occidental. C’est à ces seuls documents qu’il convient de s’attacher pour le plus grand bien du Liban et de ses chrétiens.

Réinventer le Liban, c’est sortir de la propagande et distinguer le bon grain de l’ivraie
C’est aussi réinventer une opposition. Une opposition qui à l’heure des choix vote « Liban » serait-ce au détriment de ses intérêts propres. Une opposition qui n’hésite pas une seconde à déjouer les ruses de l’ennemi et conduire à la présidence le candidat du consensus pour éviter le vide qui nuit a la nation. Une opposition engagée dans la réforme et non dans l’obstruction. Une opposition acharnée contre la corruption, qui ouvre les portes du parlement, interpelle la majorité, la suit au pas, lui demande des comptes. Une opposition qui brandit l’étendard du changement se concentre assidûment sur le chantier des reformes, à commencer par une loi électorale qui assure la représentativité de la société plurielle et le renouvellement du système politique. Bref c’est une opposition qui travaille et qui ne roupille pas sous les tentes. Une opposition qui ne brûle pas les pneus dans les rues de la ville, mais qui brûle d’envie de construire la vie.

Seule, une telle opposition aurait mérité de passer aux commandes et présider aux destinées de la nation.

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